Réconciliation nationale: pardonner sans punir»!?
- theomone
- 12 août 2022
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Après les douloureux évènements que le Burkina a connus, la réconciliation est une condition sine qua non pour reconstruire le pays.
L’homme n’est-il pas ondoyant et divers? Le philosophe Kant n’a-t-il pas prévenu que «l’homme a été taillé dans un bois si tordu qu’on en pourra jamais en tirer quelque chose de tout à fait droit»?
Mais vital pour soigner les blessures du passé, le pardon ne doit pas rendre inutile le jugement des coupables et le respect des décisions de justice. D’autant plus que le pardon n’abolit pas la mémoire. Ce qui signifie que si le processus de réconciliation dans notre pays ne prend pas en compte la justice et la vérité, il sera difficile d’apaiser les tensions et de jeter les bases d’une nouvelle société. En définitive, les Burkinabè ne pourrons pardonner que «ce que l’on peut punir». Car la justice, rendue au nom de la société, objective la faute, reconnaît la blessure et désigne le coupable.
Dans la vie courante émaillée d’offenses – plus ou moins graves – de la tromperie à l’agression, de la trahison au meurtre, de l’inceste au terrorisme, comment absoudre, comment pardonner? Le pardon, est-ce l’oubli ou la mémoire? Peut-on pardonner à la personne séropositive qui vous transmet (volontairement) le virus du Sida? Au délinquant qui vous menace dans la rue avec une arme? A «Saul de Tarse Traoré» qui égorge votre fille – sans regret – parce qu’il a besoin du sang humain pour ses sacrifices? A Blaise Compaoré qui, par amour maladif du pouvoir, ‘’assassine’’ et fait tuer d’innocents jeunes désarmés? A Diendéré, le stratège général qui a voulu mettre fin à la Transition par un coup d’Etat «idiot» avec son lot de morts inutiles? A Damiba qui fait un coup d’Etat sans changements véritables et qui veut absoudre Blaise Compaoré en ignorant sa condamnation. A l’ami(e) qui part avec conjoint (e)? A votre père qui vous a violée? Au chef d’entreprise qui vous a licencié gratuitement? Au conducteur ivre qui a tué un de vos proches? Au terroriste qui au nom d’Allah tue des jeunes enfants et femmes innocents ?

Difficile de répondre, car il est facile de pardonner le mal qu’on n’a pas subi. D’ailleurs, les synonymes du verbe pardonner sont: oublier, remettre, passer, absoudre, gracier.
Mais le pardon, est-ce l’oubli ou la mémoire? Le pardon n’abolit pas la mémoire. Il redonne à l’homme sa dignité, mais pas au prix de l’oubli. Non. Puisque le passé ne s’efface pas. Inutile de chercher à oublier l’offense. Ce mécanisme de défense enfouit la souffrance, la haine et la rancœur quelque part dans l’inconscient. Et peut réapparaître, à tout moment. Comme un lion capricieux qui dort en nous.
Attention donc, danger; si le pardon, vital pour l’espèce, rend inutile le jugement des coupables. Ce qui ne ferait qu’exacerber les passions. C’est même dans ce sens que certains spécialistes estiment que la violence qui sévit actuellement en Afrique au Sud du Sahara exprime en partie la contestation d’un ordre social perçu comme injuste. Parce que le pardon et l’esprit de réconciliation ne peuvent véritablement s’enraciner dans un contexte d’inégalités criantes comme ce fut le cas avec la commission de réconciliation en Afrique du Sud en 1995.
Pour dire qu’ici au Burkina, si le processus de réconciliation ne prend pas en compte la justice et la vérité, il sera difficile d’apaiser les tensions et de jeter les bases d’une nouvelle société. Comment, en effet, au Burkina aujourd’hui pardonner (humainement) les violations des droits de l’homme les plus graves comme les assassinats, les enlèvements… sans la justice et la vérité?
Comment pardonner à ceux qui nous ont déçus, trahis ou blessés pendant plus de soixante ans? Il y a les pardons ordinaires. Et puis il y a les pardons extraordinaires, ceux que nous avons tant de mal à concéder, après avoir été blessés au plus profond de nous-mêmes. Pardonner à un parent bourreau implique un cheminement intérieur long et exigeant, difficile à vouloir, dur à parcourir.
Acte de courage pour certains, aveu de faiblesse pour d’autres, qui lui préfèrent la vengeance, le pardon va rarement de soi.
Pardonner à un agresseur n’empêche pas de porter plainte car, comme l’a écrit la philosophe Simone Weil, «on ne peut pardonner que ce que l’on peut punir».
Dans notre contexte burkinabè, sans la vérité sur les crimes tous azimuts, et les malversations, toute réconciliation serait une farce, une comédie hypocrite du pardon. En s’inspirant de ce qui s’est passé en Afrique du Sud en 1995, nous pouvons dire avec l’un de ses juges: «Les familles de ceux qui ont été torturés, mutilés, traumatisés, prennent davantage leur destin en mains lorsqu’ils découvrent la vérité, les tortionnaires peuvent s’alléger de leur fardeau de culpabilité ou l’anxiété avec lequel ils ont vécu pendant des années, le pays peut commencer le long et nécessaire voyage pour soigner les blessures de son passé, transformer la colère et le ressentiment en une compréhension plus mature et créer un débat émotionnel et social essentiel pour entreprendre le travail de réconciliation et de reconstruction (…)».
Alors, pardon oui, mais avant tout, vérité!
Par Théophile MONE
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